« La zone d’intérêt » ou comment écouter un génocide

Un mur. Un jardin fleuri. Une piscine. Des enfants qui participent à un gouter d’anniversaire. Et puis ce mur. Ce mur qui délimite le jardin de cette famille allemande, c’est un mur du camp d’Auschwitz. La maison avec jardin, celle de Rudolf Hoss, commandant du camp, de sa femme Hedwig et de leurs enfants. « La Zone d’intérêt » propose de suivre la vie de cette famille. Ce film, écrit et réalisé par Jonathan Glazer, prend le parti intéressant de ne jamais montrer l’intérieur du camp. L’œuvre est un quasi-huit-clos dans la maison des Hoss. Glazer ne montre pas le massacre, ni les personnes déportés et internés. Le film ne nous montre quasiment pas de chambres à gaz, de travail forcés, de torture et d’exécutions. Cependant, il nous les fait entendre. Dans le calme paisible d’une vie qui semble en apparence tranquille, l’ambiance sonore est faite de cris, de fusillades, de personnes qui souffrent, et de machines. Le bruit continue des fours et des chambres à gaz qui tournent 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Les images sont faites d’une myriade de contrastes. Une foret sur fond d’une haute cheminée recrachant de la fumée. Rudolf Hoss, fumant près de sa piscine, durant la nuit. Derrière lui, une autre cheminée rejette flamme et fumée. Un enfant joue dans sa chambre tandis que l’on entend une personne se faire noyer dans le camp. Un gouter d’anniversaire et des enfants qui jouent dans la piscine, comme un moment bascule dans le film. Une scène qui met en lumière de manière crue ce que cherche à transmettre le réalisateur.

« La zone d’intérêt » ne nous montre pas le massacre des millions de juifs, tsiganes, homosexuels et communistes d’Europe dans les camps d’exterminations nazis. Elle nous le fait écouter.

La vérité, c’est qu’en réalité, le film nous le montre bel et bien ce massacre. Il nous montre les longues réunions des dirigeants de camps pour connaitre les chiffres de l’année. Il nous montre un fabricant de chambres à gaz, venant venter au commandant Hoss les mérites de son nouveau four qui peut fonctionner 24 heure sur 24. Au fond, le film nous montre ce que les manuels d’histoire tente de faire oublier. Le régime nazi n’est pas une anomalie historique. Les nazis allemands et les fascistes italiens ne sont pas une rupture dans le cours tranquille de l’histoire. Ils sont un chemin qu’on trouvé les régimes capitalistes du XXe siècle pour faire face d’une part à une remise en cause de l’hégémonie des pays impérialistes, d’autre part à une explosion de la lutte des classes en Europe qui menaçaient de les déstabiliser profondément. Les nazis n’ont pas inventés les camps de concentration. Ni non plus les exterminations, la déshumanisions, et les déportations. Pour le dire avec Aimé Césaire : « Au fond, ce qu’il [la bourgeoisie] ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi […], [c’est] d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique[1] ».

Ainsi, malgré quelques longueurs par moment, « La zone d’intérêt » est un film qui nous plonge dans la vie de famille classique qui détonne brutalement avec la réalité des camps. L’horreur des camps d’extermination étant rappelé au spectateur dans l’ambiance sonore et visuel glaçante que propose le film. Et comment regarder ce film sans penser à ce que vive les Palestiniens à Gaza. Ce camp à ciel ouvert, sur lequel toutes les caméras du monde sont braqués. Hier, le génocide se déroulait derrière des murs de bétons. Aujourd’hui, les murs de bétons ont des yeux. Et pour la première fois de l’histoire, le peuple exterminé, filment, en direct, son massacre. Tandis qu’hier, les voisins ne pouvaient feindre de ne pas entendre, aujourd’hui, il nous est impossible de ne rien voir. Il nous est impossible de dire « je ne savais pas ».


[1] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme